LA BATAILLE DES ARDENNES



Tout commence le 16 décembre 1944 à 5h30: Le long du front occidental, dans le secteur allant de Monschau (au nord) jusqu'à Echternach (au sud), sur les hauts plateaux des Ardennes, les Allemands ouvrent un feu d'artillerie nourri sur les positions de la 1ere armée américaine. Le bombardement dure entre 20 et 90 minutes selon les secteurs; les Américains pris par surprise ont subi d'importants domages, car ils étaient habitués, depuis le débarquement en Normandie, à diriger les opérations. La veille encore, le 15 décembre, cette attitude psychologique des Alliés avait été emplement démontrée par le Maréchal Montgomery, commandant du XXIeme groupe d'armées, qui, parlant devant quelques-uns de ses collaborateurs, déclarait: "Sur tous les fronts, les Allemands mènent une campagne défensive. Actuellement, leur situation militaire et stratégique ne leur permet pas d'envisager la mise sur pied d'une quelconque offensive de grande envergure."
Le destin allait rapidement contredire les prévisions optimistes du stratège anglais en leur opposant un cinglant démenti; en effet, 24 heures plus tard, les Allemands déclenchent une des plus importantes opérations militaires de ces 18 derniers mois de guerre: l'offensive dans les Ardennes.


Le général Walter Model (à gauche) et Otto Skorzeny (à droite)


Entre septembre et octobre 1944, Hitler établit les plans de l'opération: élaborée dans une atmosphère de défiance sans cesse croissante envers ses généraux et ses conseillers, cette offensive lui est entièrement attribuable. Il semble que cette idée ait germé dans l'esprit du Führer dès les derniers jours d'août, au moment des débarquements et des succès alliés dans le midi de la France; il demande alors à ses commandants de préparer la reprise des offensives en novembre.
C'est le 24 octobre que Hitler révéla son plan d'attaque aux généraux Westphal et Krebs, respectivement chef d'état-major de von Runstedt et commandant du front occidentale, et au feld-maréchal Model, chef du Heersgruppe B. Selon ses plans, le but de l'offensive était d'enfoncer le front allié en son maillon leplus faible, les Ardennes, et d'investir Anvers, but suprême de l'opération, car il craignait que, du port belge dragué et nettoyé, les Alliés ne lancent contre le front allemand toute leur terrifiante machine de guerre. Hitler voulait, par cette opération, anéantire l'armée anglaise. Ainsi, il ne resterait, à la table des négociations, que les USA et l'URSS. Hitler espérait ainsi pouvoir signer une paix séparée avec les USA pour continuer la lutte contre la Russie, avec si possible, les USA comme Alliés.

L'objectif étant connu, voici les moyens pour l'atteindre:
les quatre armées de Model (V et VIeme armées blindées, VII et XVeme armées d'infanterie) recevront, toujours selon les plans établis, d'importants renforts parmi lesquels un certain nombre de division blindées transférées du front oriental: d'après les promesses de Goering, elles pouront compter sur une couverture aérienne composée de 3000 chasseurs au moins. Enfin, il était évident, selon le Führer, que la clé du succès résidant en grande partie dans l'effet de surprise, le secret le plus absolu devait entourer ces plans.
Des ordres très stricts furent donnés concernant le respect de ce secret: lorsque le général Alfred Jodl, chef de la section opérationnelle du haut commandement de la Wehrmacht, réunit le 3 novembre les commandant d'armées concernés pour leur exposer les modalités de l'opération, il leur fit signer, sur ordre de Hitler, une déclaration par laquelle ils s'engageaient à ne jamais rien révéler de ce projet sous peine de mort.

Selon le plan de Hitler, l'offensive devait être menée par le groupe d'armées B du général Walter Model avec 4 armées alignées sur le front des Ardennes entre Monschau et Echternach. Deux armées situées sur les ailes du dispositif devaient s'élencer en premier lieu: la XVeme armée du général Gustav von Zangen sur la droite, la VIIeme armée du général Erich Brandenberger sur la gauche. L'effort principal, au centre, était dévolu à deux unités blindées, la Veme Panzerarmee et la VIemme Panzerarmee SS, resectivement sous les ordres de Haso von Manteuffel et de Sepp Dietrich.

L'opération était fixée au 27 novembre, mais il devint vite évident que cette date ne pourrait être tenue, et Hitler consentit à la reporter au 16 décembre. La pincipale difficulté concernait l'acheminement du matériel et des troupes appelées en renfort. Pour échaper à la surveillance des Alliés, ces mouvements s'effectuaient de nuit. Les routes que devaient emprunter les hommes et le matériel étaient recouvertes de paille retirée à l'aube; les canons éaient tirés soit par des chevaux, soit par des véhicules; enfin, pour couvrir le bruit des Panzer, la chasse allemande, à la stupéfaction des Américains, survolait sans raison logique le front en rase-mottes. Ce stratagème permit aux Allemands d'amasser sur le front occidental, à environ 130 km de la ligne d'attaque, 30 divisions (environ 250.000 hommes, 2000 canons, 1000-1500 chars de combat et 1500 avions (sur les 3000 promis par Goering)).


Photo tirée du reportage de Poteau, en décembre 1944, lors de la destruction d'un convoi américain. Au premier plan, un Sturmmann, armé d'un MP-40, suivi d'un Schütze armé d'une carabine USM1 de prise. Le véhicule en feu au second plan est une auto blindée américaine M-8.
Le cameraman allemand était posté sous un véhicule de ce type pour filmer cette scène.


Pendant toute cette période préliminaire, Hitler convoqua ses généraux à plusieurs reprises pour discuter du plan et en préciser les moindres détails. Von Runstedt et Model, sceptiques sur la réalisation d'un projet d'une telle envergure, proposèrent le 2 décembre, lors d'une nouvelle réunion au quartier général de Hitler, de réduire l'importance de l'offensive, mais le führer resta inébranlable: le plan devait être exécuté selon les dispositions prévues par lui.
Le 12 décembre eut lieu la dernière réunion à caractère "psychologique": Hitler convoqua en deux groupes distincts les commandants de corps d'armée et de division pour exalter leur foi et leur esprit de combat.

Face à l'imposant dispositif mis en place par les Allemands, il n'y avait de l'autre côté du front qu'à peine 6 divisions américaines du 5eùe corps du général Leonard Gerow (2eme, 99eme, 106eme) et du 8eme corps du général Troy Middleton (28eme, 4eme et 9eme divisions blindées), soit, au total, 82000 hommes qui ne sont absolument pas préparés à faier face à l'attaque surprise et simultanée de quatre armées.

On arrive ainsi au 16 décembre 1944. Après un tir d'artillerie sur les lignes américaines, commencé à 5h30, les divisions blindées entrent en action. Les espoirs allemands reposent principalement sur la puissance des blindés; ils comptent également sur le mauvais temps et le brouillard pour empêcher l'aviation alliée d'intervenir. Les lignes américaines sautent l'une après l'autre et la surprise est telle que, 4 heures après le début de l'attaque, le 12eme corps américains, déployé sur le flanc droit du 8eme corps, ignore toujours tout de l'attaque allemande.

Face à la violence de l'attaque des Panzer, la désorganisation et la confusion générale règnent dans les unités américaines. Cependant, Hitler ajoute un élément nouveau, une initiative imprévue et secète dont le nom de code est "Opération greif" et qui va provoquer de sérieux dégats dans les lignes américaines. Un groupe de commandos dressés par le colonel Otto Skorzeny, vêtus d'unifomres américains et utilisant des véhicules pris aux Alliés, ou des véhicules allemands transformés pour y ressembler, sèment la panique dans les lignes de l'arrière en répandant des nouvelles alarmantes, modifiant la signalisation routière, faisant sauter les dépôts de munitions, coupant les câbles téléphoniques et se livrant à toutes les opérations de sabotage possibles.
Le stratagème est découvert relativement vite, mais il réussit à provoquer une véritable psychose du soupçon: surévaluant la portée du plan de sabotage allamand, les Américains vont créer des centaines de postes de verrouillage pour soumettre à de sévères controles les occupants de toutes les Jeeps ou autres véhicules, les officiers supérieurs n'échappant pas à cette rigueur. En fait, les militaires chargés des contrôles posaient des questions portant sur la vie américaine: personnages de bandes dessinées, championnats de baseball, détails de la vie des vedettes de Hollywood, ....
Pour bien se rendre compte de cet état d'esprit, reportons-nous aux souvenirs du général Bradley, commandant du XIIeme groupe d'armées: "Imaginez...un demi-million d'authentiques soldats américains jouant au gendarme et au voleur, à chacune de leurs rencontres. Ni grade, ni bonen foi manifeste, ni protestations ne pouvaient éviter un interrogatoire digne de l'inquisition à chaque poste de contrôle. On m'a bien demandé trois fois de prouver mon identité. Je la prouvai, la première fois en répondant à mon inquisiteur que la capitale de l'Illinois était Springfield et non Chicago, comme il le soutenait avec talent; la deuxième fois, en effectuant un mouvement d'escrime et la troisième en nommant le mari de Betty Grable."
Ci-dessus:Cliché tiré du film réalisé près de Poteau en décembre 1944 lors de la destruction d'un convoi du 14th Cavalry Group par le Kampfgruppe Hansen. L'homme au premier plan est un sous-officer, armé d'une carabine américaine M1

L'annonce de l'attaque allemande dans les Ardennes parvint à Eisenhower alors qu'il se trouvait dans son quartier général à Versailles. Le commandant suprême des Alliés ordonne en premier lieu que toutes les forces blindées disponibles aillent immédiatement renforcer le secteur attaqué. Les 82eme et 101eme divisions parachutistes sont elles aussi mobilisées: la première rejoint le secteur de Houffalize, en plein coeur du front d'attaque allemand, où convergent les unités des 58eme et 47eme corps de Panzer. La seconde rejoint Bastogne, le plus grand noeud routier de la région, à 20 km au sud de Houffalize. Cependant, les conditions atmosphériques empêchent l'aviation alliée d'intervenir. Tandis que sur le flanc nord du 67eme corps blindé de la VIeme Panzerarmee SS de Sepp Dietrich, l'offensive est assez bien contenue par les Américains dans le secteur de Monschau, sur le flanc sud, le 19 décembre, le 1er corps blindé atteint Trois-Ponts sur la rive gauche de l'Amblève, et poursuit vers le nord en direction de Spa. Mais sa progression est modeste comme l'est celle de la 9eme division blindée SS du 2eme corps de Panzer attaquée par la 82eme division parachutiste américaine, est contrainte de repasser sur la rive droite de l'Amblève.

Soldat allemand tué lors d'un contrôle, alors qu'il conduisait une Jeep américaine.

Le 25 décembre 1944, après le premier élan, l'ensemble de la VIeme Panzerarmee SS se met sur la defensive.
Dans le secteur central du front d'attaque, les corps de la Veme Panzerarmee de Manteuffel progressent en profondeur: les 66eme et 47eme franchissent l'Our et atteignent respectivement Houffalize (116eme division blindée) et Bastogne (division Panzer-Lehr). Si la première localité est conquise, la seconde résiste, défendue par la 101eme division parachutiste et par des unités des 9eme et 10eme divisions commandées par le général Mc Auliffe. Les jours suivants, bien que complètement encerclée par un régiment de la division Panzer-Lehr et de la brigade Führer Begleit, la ville résiste toujours et refuse l'offre de reddition du général Heinz Kokott; enfin, le 26 décembre, le cercle qui étreignait la cité est brisé par les unités de la 4eme division blindée de la 3eme armée de Patton.


Sort réservé aux soldats allemands surpris à porter l'uniforme américain

Pendant ce temps, les gros des troupes allemandes poursuit son avance à l'ouest: au nord, la 116eme division blindée franchit l'Ourthe près de Hotton, mais elle est stoppée par la 84eme division américaine; au sud, la Panzer-Lehr atteint Ciergnon, à une vingtaine de kilomètres de Dinant, et la 2eme division blindée occupe, le 24 décembre, la petite localité de Foy-Notre-Dame à 6 km à peine de la Meuse. Et là, le grand rêve de hitler se brise: à 100 km de leur point de départ, les Allemands sont essoufflés, et la violence de la riposte alliée est impressionnante: aux contre-attaques de la IIIeme armée de Patton au sud et de la Iere armée de Hodges au nord, sur les flancs du saillant conquis par les unités des Veme et VIIeme armées allemandes, les Alliés ajoutent, à partir du 22 décembre 1944, l'intervention massive et dévastatrice des chasseurs-bombardiers rendue posssible par la nette amélioration des conditions atmosphériques.
Les bombardements d'une grande violence sèment la perturbation à l'arrière des troupes allemandes, interrompant toutes communications entre les corps d'armée; les divisions blindées sont décimées par le feu adverse et paralysées par le manque de carburant.La 2eme Panzerdivision, qui s'était aventurée dans un étroit couloir aux alentours de Dinant, est pratiquement détruite. Les Allemands amorcent alors un lent, mais inexorable repli. En fait, depuis le 22 décembre, von Runstedt, avec le plein accord du feldmaréchal model, commandant le groupe d'armées B, et de Guderian, chef de l'état-major de l'Oberkommando Wehrmacht, avait demandé à Hitler un recul des troupes derrière la ligne Siegfried; mais le Führer, comme d'habitude, s'y était opposé. Et ainsi, comme le relate le général von Manteuffel, "au lieu d'un repli ordonné, nous fûmes contraints à une retraite pied à pied, sous la pression des Alliés, subissant d'inutiles pertes...Pour nous, la politique hitlérienne "d'aucun repli" signifiait la ruine, dans la mesure où nous ne pouvions nous permettre de pareilles pertes."


Convoi de Half-Tracks américains pris sous une attaque aérienne allemande, près de Bastogne, en décembre 1944


Après l'échec de la tentative allemande des 3 et 4 janvier 1945 de reconquérir Bastogne, les attaques des Iere et IIIeme armées américaines se font plus incisives et imposent une nette accélération au repli allemand.
Le 20 janvier, les armées allemandes se retrouvent sur leurs positions de départ: en 34 jours de combat, elles ont perdu environ: - 100.000 hommes tués blessés ou faits prisonniers
- 800 chars
- au moins 1.000 avions

Les pertes alliées aussi sont lourdes:
- 81.000 Américains et 1.400 Britanniques sur les 600.000 hommes ayant participé à la bataille
- et environ 800 engins blindés.

Mais si les pertes humaines américaines sont compensées en une quinzaine de jours, les pertes allemandes en hommes et en matériel sont irréparables et vont jouer un rôle déterminant dans la fin du conflit.
Comme l'a écrit Churchill, l'offensive des Ardennes a contraint les Alliés à différer de 3 semaines l'invasion de l'Allemagne, mais en revanche, elle leur a offert des atouts inespérés: "puisque les Allemands ne pourront plus combler leurs pertes, nos combats sur le Rhin, même acharnés, s'en trouveront facilités..."

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